Un regard sur la Présidentielle Française

Ce blogue est Canadien, mais cela ne signifie pas que je ne suive que la politique de ce pays. Dans les faits, mon introduction à la politique s’est faite quand je vivais encore en Suisse lors de l’élection présidentielle française de 2002 (en Suisse Romande, nous avons les chaînes françaises). J’avais suivi cette campagne de très proche et la surprise de voir Jean-Marie Le Pen (alors leader du Front National, un parti considéré d’extrême-droite) au 2e tour était, jusqu’à la victoire de Trump, la plus grosse surprise que j’avais eu lors d’une élection.

Si vous êtes un français du Québec, ou de France, je comprends qu’il puisse être un peu étrange de lire une analyse de la politique française faite par un Suisse vivant maintenant à Vancouver. Mais je me suis dit qu’il serait intéressant de construire un petit modèle pour le 1er tour. Et je peux vous assurer que je m'y connais en politique de l'Hexagone.

Avant de regarder les détails, un petit résumé de la situation en France. Tout d’abord, il faut savoir que l’élection présidentielle en France se joue sur deux tours. Les deux candidats terminant en tête lors du premier tour s’affrontent deux semaines plus tard. Habituellement (à part en 2002), ce 2e tour oppose le candidat de la droite républicaine (dont le parti principal change souvent de nom -RPR, puis UMP et maintenant Les Républicains) au candidat de la gauche (représentée majoritairement par le Parti Socialiste qui est un parti social-démocrate typique d’Europe). Sauf que cette année, nous assistons à un bouleversement majeur de la Ve République. Les deux grands favoris actuellement, et cela depuis des semaines, sont Marine Le Pen (fille de Jean-Marie dont elle a repris le parti il y a quelques années) et Emmanuel Macron, un ex-ministre Socialiste du gouvernement sortant qui a fondé son propre parti/mouvement : En Marche! Macron se positionne au centre, une tactique qui d’habitude ne fonctionne pas très bien en France. En 2002, la présence de Jean-Marie Le Pen au 2e tour avait essentiellement été due à la division de la gauche. Mais cette année, le FN est tout simplement le parti en tête depuis des mois. Marine Le Pen a travaillé fort depuis 2012 afin de positionner son parti comme étant plus modéré (ou plus acceptable). Fini par exemple les déclarations controversées sur les chambres à gas. Ses efforts, couplés à la montée d’un sentiment d’aliénation d’une partie des Français (plus de frontières, immigration, mondialisation, etc) fait en sorte que le FN n’a cessé de progresser, non seulement dans les sondages mais dans les diverses élections (régionales, etc).

La présence de Macron est plus surprenante. Mais il faut dire que tant la gauche que la droite lui ont offert un boulevard. La droite tout d’abord en choisissant François Fillon lors de sa primaire, un candidat plus à droite et conservateur que le centriste Jupée. Tout semblait bien fonctionner jusqu’à ce que Fillon se retrouve au milieu d’un histoire d’emplois fictifs (un phénomène étonnamment courant en politique française…). Il est carrément sous enquête judiciaire mais a décidé de ne pas se retirer. Il a chuté de 30% à 18-19% mais il tient bon à ce niveau. Du côté de la gauche, au lieu de choisir Manuel Valls, Premier-Ministre sortant et vu comme centriste, la primaire a vu la victoire de Benoît Hamon, un candidat bien plus à gauche. Ainsi cela semble avoir laissé le champ libre à Macron qui, bien qu’ayant fondé son propre mouvement, a le programme le plus en continuité avec le président Hollande (Socialiste; qui a décidé de ne pas se présenter car il jugeait n’avoir aucune chance). Hamon est en chute libre et risque en fait d’être dépassé sur sa gauche par Mélenchon (un ex-socialiste qui trouvait son parti pas assez à gauche).

Okay, ce résumé est déjà trop long, passons aux sondages et simulations.

Simulations


Cette élection a sa dose de sondages naturellement mais la France ne semble pas avoir de Nate Silver, du moins à ma connaissance. Et ces sondages sont remarquablement constants. On voit très peu de variations, bien moins qu’au Canada ou Québec. L’une des raisons semble être que les sondeurs français ne font pas un échantillonnage purement aléatoire mais y vont au contraire avec des quotas et beaucoup de pondération. Parlant de cette dernière, le FN était traditionnellement sous-estimé par les sondages car les électeurs avaient honte d’avouer voter Le Pen. Cela semble ne plus être le cas (ou bien moindre), en partie grâce aux efforts de Marine Le Pen mais aussi car les sondages sont maintenant faits sur internet et les gens semblent plus enclin à révéler leurs préférences.

Si l’on regarde ces sondages, on voit que Macron et Le Pen sont solidement devant. Cependant, les sondages français incluent tous une mesure de la certitude du vote. Et à ce jeu-là, Le Pen peut compter sur le soutien de 80% de ses électeurs. Macron, de son côté, semble avoir un vote plus fragile avec seulement 55-65% de ses électeurs se déclarant sûrs de leur choix. Voici donc la première chose dont je veux tenir compte dans mes simulations.

L’autre étant l’abstention. Elle semble pouvoir atteindre les 30-35% cette année, ce qui serait très élevé pour la France (pour une élection présidentielle).

Au final, voici comment j’ai procédé :

1. J’ai fait la moyenne des sondages depuis le débat de la semaine dernière. Cela donne Macron et Le Pen à environ 25%, Fillon à 19-19, Hamon et Mélenchon vers les 12%.

2. Je simule ces intentions de votes en utilisant les marges d’erreur (donc Le Pen peut être aussi élevée que 27% mais aussi basse que 22% par exemple).

3. En utilisant le degré de certitude des électeurs, je sépare ces intentions de votes en deux parties : la partie assurée et la partie restante/potentielle.

4. Pour la partie restante, je fais l’hypothèse que trois choses peuvent arriver : 1. Ces électeurs votent finalement pour ce candidat 2. Ces électeurs ne votent pas et 3. Ces électeurs votent pour quelqu’un d’autre. C’est vraiment là que ça se complique et où je dois faire des hypothèses. Voici donc ce j’ai décidé. Premièrement, je simule la part qui votera quand même pour ce candidat. En moyenne, je pars du principe que la moitié ne changeront pas d’avis. Pourquoi la moitié? Il me fallait un chiffre. Si vous avez un bon argument contre (ou en faveur d’une autre option), laissez-moi le savoir. Ensuite, le reste de ces votes vont se diviser entre ceux qui ne voteront pas et ceux qui voteront pour un autre candidat. Le nombre de personnes qui ne votera pas est une fonction directe de l’abstention. Quant à la redistribution des votes, là aussi il m’a fallu faire des hypothèses. Je me suis servis des données sur le 2e tour ou de la proximité partisane (page 10 ici par exemple). L’avantage de la France, c’est que le clivage gauche-droite y est très clairement exposé. Ainsi, il est évident que les électeurs d’Hamon sont bien plus enclins à voter Macron que Le Pen. J’ai ainsi crée une matrice de redistribution. La proximité partisane y est l’élément le plus important. Cela veut dire que Macron, dont le vote est plus fragile, a aussi un fort potentiel car il peut recevoir des votes de quasiment tout le monde.

5. Je fais ainsi des simulations aléatoires où je redistribue une partie des votes. Il y a des simulations où (par exemple) Hamon conserve 60% de son vote, 20% ne votent pas et 20% vont chez Macron. Mais dans une autre simulation, Hamon ne conserve que 50%, 25% s’abstiennent et 25% vont chez Mélenchon.

Je fais 50,000 simulations où tous ses paramètres sont simulés aléatoirement. Cela me permet de regarder les possibles distributions pour les principaux candidats. Ce n’est de loin pas parfait car j’ai dû faire beaucoup d’hypothèses, mais c’est un début.


[Remarque: J'ai réalisé quie j'avais fait une erreur dans mon code pour ces simulations. Je n'arrivais pas à accepter que Macron ait une distribution aussi peu étendue. Cela n'était pas logique. Ainsi la partie ci-dessus reste correcte (ainsi que les deux premiers graphiques ci-dessous), mais svpl regardez ce billet pour les vrais distributions.

Résultats

Premièrement, regardons les résultats pour les votes « sûrs » ou « définitifs ». Ces distributions montrent les résultats possibles (l’axe horizontal est les pourcentages des votes, l’axe vertical est le nombre de simulations -sur 50,000- qui ont un tel résultat (Le Pen est en gris foncé, macron en orange, Fillon en bleu, Hamon en rose et Mélenchon en rouge). À ce jeu-là, Le Pen est largement devant alors que Macron se retrouve à batailler avec Fillon.


Ce graphique montre la fragilité du vote Macron. Malgré une avance dans les sondage, moins de 60% de ses électeurs déclarent leur choix comme étant définitif (contre plus de 80% pour les partisans de Marine Le Pen). Macron a ainsi un plancher potentiellement très bas.

Le graphique suivant montre les distributions avec une partie des indécis répartis. Plus exactement, et tel qu’expliqué ci-dessus, parmi les électeurs qui n’ont pas fait un choix définitif, nous simulons ce qui pourrait arriver si tous ces électeurs votaient finalement pour ce candidat ou, à l’inverse aucun ne le faisait (en moyenne, la moitié vote pour le candidat préféré). Ici on voit que Macron a une distribution large. En d’autres mots, il a la plus grande incertitude. Cela arrive car son potentiel est haut et le pourcentage de ses électeurs qui ont fait un choix définitif est relativement faible. On voit aussi que Macron se rapproche de Le Pen.


Finalement, Macron a aussi un plus haut potentiel car il va chercher des appuis pratiquement partout. Il a le soutien d’électeurs traditionnellement droite Républicaine, centre (le MoDem), gauche (il se partage les Socialistes 50-50 environ) et même de la gauche plus radicale. Pour cette dernière étape, nous redistribuons les voix des électeurs non-définitifs (étape 4-5 ci-dessus). Nous faisons aussi en sortes que les votes sommes à 100% maintenant.


Les résultats sont que Macron et Le Pen sont largement favoris pour finir dans les deux premiers. Il est actuellement quasi impossible de prédire qui finira en tête. Les sondages donnent une légère avance à Macron mais le FN est souvent sous-estimé en France et la possible faible participation avantage la candidate du FN. Ce qui est intéressant c’est que l’incertitude semble s’annuler pour Macron. D’un côté le fait que moins de 60% de ses électeurs déclarent leur choix définitif est naturellement une mauvaise nouvelle, mais d’un autre côté Macron peut bénéficier des indécis de beaucoup d’autres candidats.

Pour que Macron ne termine pas devant Fillon, cela requiert maintenant une sorte de scénario catastrophe dans lequel les sondages l’auraient surestimé, l’abstention est élevée et les indécis se tournent finalement vers Hamon ou Fillon (imaginons un retour aux partis traditionnels). Cela fait beaucoup de conditions et ces simulations montrent qu’il est peu probable que tous cela arrive en même temps. Au final tous mes efforts (tenir compte de l’absention, des 2e choix, de la sureté des choix, etc) semblent essentiellement s’annuler et nous donner des résultats similaires à de simples distributions basées sur les intentions de vote, telles celles de Qc125.com Oh, beaucoup de boulot pour pas grand-chose il semblerait mais tant pis.

Les probabilités d’accéder au 2e tour sont les suivantes :


Au final la situation actuelle est qu’un 2e tour Macron-Le Pen est de loin le scénario le plus probable. Pour Fillon, ses seules chances sont s’il réussit à remonter vers les 20% dans les sondages. Il lui faut également espérer qu’une partie des appuis à Macron se tourne vers Hamon, Mélenchon ou Fillon (les électeurs MoDem -parti centriste de François Bayrou- sont actuellement majoritairement derrière Macron mais cela pourrait changer). La dynamique récente cependant montre que ce n’est pas le cas.
Quant à Hamon, ses chances d’accéder au 2e tour sont nulles. Il est en fait fort probable que Mélenchon termine devant lui, surtout après sa forte performance au débat la semaine passée. Si cela devait arriver, nous aurions un paysage politique très différent. Le PS et Les Républicains seraient très amoindries. Nous aurions un centre avec Macron, regroupant le PS modéré et l’ex-centre (MoDem, etc). Une droite dure autour de Le Pen et une gauche assez radicale autour de Mélenchon.


Je tâcherai de faire une mise à jour hebdomadaire de ces simulations.