Après 40 jours de campagne, enfin le jour J! En me basant sur tous les sondages disponibles (y compris ceux par circonscription), je projette que la Coalition avenir Québec de François Legault va remporter une majorité.
Ce billet est très long. Je vais donc présenter les projections générales en premier. Viennent ensuite quelques points importants. Finalement, vous avez l'analyse au complet (sondages, sièges, etc).
1. Projections
2. Analyse rapide
- Cette élection est celle du changement. Non seulement les Québécois sont sur le point d'élire un gouvernement autre que PLQ ou PQ depuis des décennies, mais ces deux partis vont probablement vivre une soirée cauchmarde (et faire le plus mauvais résultat de leur histoire). À l'inverse, Québec Solidaire va enfin devenir un parti à l'échelle de la province et progressera probablement davantage que la CAQ.
- La CAQ va probablement remporter une majorité avec une pourcentage de voix très faible. C'est ce qui peut arriver avec un mode de scrutin stupide et un vote (francophone) divisé (CAQ en tête à 35% environ, les 3 autres partis se bataillant pour la 2e place à 20%). De plus les sondages montrent que la CAQ est en progression dans les régions dont elle a besoin (Estrie, Outaouais, le Nord, etc; Pas seulement le 450 et la région de Québec!). Le vote PLQ est trop concentré pour être vraiment compétitif.
- Prédiction non scientifique mais je pense que QS va remporter au moins un comté totalement surprise. Je ne parle même pas ici de Sherbrooke ou Jean-Lesage (qui seraient des surprises mais pas des énormes surprises). Aucune idée lequel ce sera cependant. Mais QS a progressé incroyablement en régions et, tel que mentionné ci-dessus, se retrouve maintenant quasiment au même niveau que le PQ!
- Le PLQ va vivre une mauvaise soirée mais après autant d'années au pouvoir (si on oublie la petite pause de 2012 à 2014), c'est un peu normal. La soirée va être vraiment catastrophique pour le PQ. Au point où je ne suis pas sûr si ce parti a vraiment un avenir. La tendance depuis 20 ans est super négative et à voir les 18-34 ans, il n'y a pas vraiment de raison de penser que cela va changer dans les prochains 20 ans. Je ne dis pas que le PQ va mourir mais je pense qu'il est très probable que ce parti se transforme en tiers parti qui ne peut pas prendre le pouvoir.
- La majorité CAQ pourrait sembler acquise mais ce n'est pas le cas. Il y a assez de courses serrées où une légère surestimation de la CAQ dans les sondages (ou sous-estimation PLQ ou PQ) ou alors une bonne sortie de vote du PLQ/PQ et la coalition se retrouve minoritaire. Il y a pas mal de comtés liés entre eux: si la CAQ devait faire moins bien que prévu dans l'un, elle le ferait aussi dans les autres et 69 sièges pourraient assez rapidement devenir 62.
- La majorité CAQ pourrait sembler acquise mais ce n'est pas le cas. Il y a assez de courses serrées où une légère surestimation de la CAQ dans les sondages (ou sous-estimation PLQ ou PQ) ou alors une bonne sortie de vote du PLQ/PQ et la coalition se retrouve minoritaire. Il y a pas mal de comtés liés entre eux: si la CAQ devait faire moins bien que prévu dans l'un, elle le ferait aussi dans les autres et 69 sièges pourraient assez rapidement devenir 62.
- Petit point émotionnel pour moi: si Legault tient sa promesse de changer le mode de scrutin, ce seront probablement mes dernières projections au Québec. Pas besoin d'un modèle complexe si le pourcentage de sièges est étroitement lié au pourcentage de votes.
3. Les sondages
4 graphiques (toute la province, la région de Montréal, celle de Québec et le reste). Vous pouvez trouver tous les sondages ici. Pour mes graphiques, j'inclus les sondages payants de Mainstreet (j'en inclus un aux trois jours, soit à chaque renouvellement complet de l'échantillon).
L'histoire de cette élection, qui a été somme toute assez stable, est la CAQ qui commence en tête, perd du terrain (surtout après le 1er débat remporté par Lisée) mais se reprend sur la fin. En gros il semble que les Québécois ont continué de vouloir du changement mais ont exploré leurs choix. Au final, ils ont décidé qu'ils voulaient Legault. Ceux qui ne l'aime pas ont plutôt choisi de rejoindre QS. Ce parti a cependant plafonné un peu trop tôt (faut dire que dès que QS a atteint les 18-19%, tous les partis l'ont attaqué).
Le PQ et Lisée n'ont pas vraiment fait une mauvaise campagne (du moins jusqu'au dernier débat) mais leur offre politique n'était simplement pas assez attrayante. Et ils sont aussi victimes de la volonté de changement par rapport aux vieux partis. Il reste que le PQ, il y a encore 2 ans, était mieux placé pour représenter l'alternative que la CAQ. C'est un énorme échec pour ce parti car ils auraient pu gagner ce scrutin.
Dans la RMR de Montréal, on voit que les Libéraux ont en fait plutôt bien fait. Non seulement y sont-ils supérieurs à partout ailleurs, mais ils ont augmenté durant la campagne. Pour la CAQ ce n'est pas forcément un mauvais signe. Si ce parti avait haussé essentiellement dans le 450, son vote serait très inefficace. Il se peut que la CAQ ne perce pas sur l'île mais ce ne sera pas la fin du monde pour Legault et son équipe.
La région de Québec est celle qui a viré CAQ avant les autres (au moment en gros de la partielle dans Louis-Hébert). La CAQ y est restée stable durant la campagne alors que QS faisait une progression nette. Au final, attendez-vous à ce que la Coalition remporte la plupart des sièges. QS va remporter Taschereau assurément alors que Jean-Lesage pourrait causer la surprise.
Le reste du Québec est la région la plus importante pour Legault s'il veut obtenir une majorité. Il se doit d'aller chercher des sièges au PQ (et PLQ) qui lui permettront d'atteindre la barre de 63. Il lui faut gagner par exemple au Saguenay ou en Gaspésie. Le Nord+Abitibi+Saguenay représentait pas mal la dernière forteresse Péquiste et elle semble sur le point de basculer. Pour le parti de Jean-François Lisée, ce pourrait être la source du cauchemar.
4. L'incertitude
Les sondages ne sont pas parfaits (analyse ici), tout comme les projections sont parfois fausses (voir ici). Il est ainsi important de garder en tête qu'il existe toujours de l'incertitude en politique.
Au-delà des simulations, remarquons bien qu'il s'agît d'une élection hors normes où les deux partis en progressions sont ceux ayant terminé 3e et 4e la dernière fois. Alors que le PLQ et surtout le PQ sont sur le point de faire une contre-performance historique. De plus nous nous retrouvons avec un Québec essentiellement divisé en 4. Cela fait en sorte que les surprises vont arriver, la question est juste de savoir où.
Sur ce, souvenez-vous que les simulations sont calibrées afin de représenter l'incertitude historique. Cela veut dire que je tiens déjà compte de la possibilité que ces sondages aient tort!
Après, beaucoup vont parler de la fameuse "prime à l'urne" des Libéraux. C'est moitié mythe moitié réalité. Oui le PLQ était sous-estimé en 2014 et surtout en 2012, mais ce n'était pas le cas en 2007 ou 2008. Claire Durant recommande d'allouer les "discrets (terme inventés par les politologues Québécois pour les indécis et les refus de répondre) avec la méthode 50-25-25, soit 50% au PLQ et 25% à la CAQ et au PQ. Je trouve cela absurde cette année, surtout dans le ratio CAQ et PQ (aussi, QS n'est plus à 7% et mérite probablement quelques indécis!). On verra bien demain si les Libéraux me donnent tort, mais je ne le crois pas (lisez la prochaine section sur une majorité).
Mon modèle en général accorde un peu davantage d'indécis au gouvernement sortant (et aucun aux petits partis), en accordance avec ce que mes recherches sur les élections antérieures ont montré. C'est le cas cette fois-ci, même si l'effet est au final neutralisé par les ajustements dûs aux sondages par comté (voir ci-dessous).
En termes d'incertitude, voici les distributions de sièges possibles pour chaque parti:
Une observation: beaucoup vont dire que rien n'est joué, que tout est possible, que le vrai sondage c'est le jour de l'élection, etc etc. Ouais, sure (en bon français), mais en termes de chiffres, ce n'est pas une élection très incertaine. La domination de la CAQ dans le vote francophone lui donne un avantage certain.
Cela étant dit, la majorité CAQ, même à 69 sièges, n'est pas garantie. Si tant le PLQ que le PQ font sortir leur vote dans les comtés clés, la CAQ pourrait se retrouver minoritaire. Mes projections finales ont la CAQ avec un vote très efficace mais les simulations montrent une moyenne plus basses. Mes projections sont cependant au final très cohérentes avec les sondages par comté (quasiment toutes les courses serrées vont au même parti que dans ces sondages).
Cela étant dit, la majorité CAQ, même à 69 sièges, n'est pas garantie. Si tant le PLQ que le PQ font sortir leur vote dans les comtés clés, la CAQ pourrait se retrouver minoritaire. Mes projections finales ont la CAQ avec un vote très efficace mais les simulations montrent une moyenne plus basses. Mes projections sont cependant au final très cohérentes avec les sondages par comté (quasiment toutes les courses serrées vont au même parti que dans ces sondages).
Peut-être une meilleure manière est de regarder la distribution des chances de gagner pour chaque parti. Par exemple, combien de sièges sont quasiment assurée (90% et plus de chances) pour la CAQ? Le graphique ci-dessous vous montre cela:
Les Libéraux ont beaucoup de sièges assurés (100%; Merci l'Ouest de l'île) mais la CAQ en a beaucoup de quasi assurés (90% et plus). Le PQ n'est absolument pas dans la course dans 97 comtés!
Finalement, la seule réelle incertitude demain est de savoir si la CAQ aura une majorité. Voici un graphique vous montrant les chances d'une majorité en fonction du pourcentage de votes pour la CAQ (on peut aussi le faire avec l'écart par rapport au PLQ et au PQ).
33% semble le chiffre magique en moyenne.
5. Pourquoi une majorité?
5.1 Tendances récentes
La CAQ semble en légère progression sur la fin (comparez les deux derniers sondages de chaque firme). Mainstreet me confirmait que c'était le cas ce dimanche (juste pas publié). Le PQ semble en baisse alors que QS termine bien (encore une fois, confirmé par Mainstreet). Surtout, et tel que vous pouvez le voir ci-dessus, la CAQ est en hausse là où elle en a besoin: le reste du Québec (en régions si vous préférez).
5.2 Taux de participation par anticipation
Si l'on regarde le taux par anticipation, on voit une légère baisse par rapport à 2014. Ce n'est pas un bon signe pour la participation générale. Les Canadiens et Québécois votent de plus en plus par anticipation. Ainsi, je prédis une baisse de la participation générale.
Pour les projections cependant, ce qui m'est important est où cette participation change. Le tableau ci-dessous vous montre quelques tendances très claires.
Les régions pro-PLQ (surtout en 2014) sont toutes en fortes baisses. Si les Libéraux avaient pu compter sur une hausse marquée de la participation des non-francophones (peur du référendum) en 2014, ce ne sera pas le cas cette fois-ci. Mainstreet a également fait des tests spécifiquement sur cette question et ils ne s'attendent pas à ce que le PLQ récolte davantage de votes que ce que prédisent les sondages (pas de vote PLQ caché).
Les régions en hausses (ou moindre baisses) sont toutes pro-CAQ ou sont celles où la CAQ pourrait faire une percée (Estrie, Gaspésie). Pour moi ce tableau indique que le vote Libéral n'est probablement pas sous-estimé, bien au contraire.
La question de l'impact de la montée de QS est plus difficile à juger. QS est particulièrement populaire auprès des 18-34 ans. On verra si ce group votera demain.
La question de l'impact de la montée de QS est plus difficile à juger. QS est particulièrement populaire auprès des 18-34 ans. On verra si ce group votera demain.
5.3 Sondages par comtés
Mainstreet a fait une tonne de sondages par circonscription. 69 pour être exact. La CAQ y est projetée gagnante dans 42 cas, le PLQ 11 et le PQ et QS à 3. Il y a aussi 10 courses serrées. Par rapport aux projections, ces sondages ont toujours eu quelques différences systématiques:
- PLQ plus bas de 3 points
- CAQ plus élevée de 1-2 points
Il y avait une situation similaire en Ontario cet été (les sondages par comtés montraient un Parti Conservateur bien devant le NPD alors que les sondages provinciaux, du moins jusqu'à la toute fin, avaient le NPD bien plus proche -même parfois en tête) et au final ces sondages avaient eu pas mal raison.
Combiné à la tendance vers la fin (pro CAQ), je crois que cela nous donne une bonne indication de ce qui va arriver lundi.
J'ai ainsi ajusté ma moyenne en fonction de ces différences. J'ai donc baissé le PLQ un peu et augmenté la CAQ. En gros j'ai fait une moyenne entre les sondages provinciaux et les sondages par comtés, avec un poids plus important aux sondages provinciaux. Au final j'arrive à la CAQ en avance de 3 points environ, ce qui me semble être logique à la vue de toutes les données disponibles. Mainstreet me disait que la CAQ était 4 points devant le PLQ dans les chiffres de dimanche par exemple. Et le sondage Forum, publié à la toute dernière minute, montre aussi cela (Forum fait en général une vraiment bonne job avec ses sondages finaux).
Il ne serait ainsi pas surprenant pour moi que le PLQ récolte moins de votes que ce que les sondages provinciaux prévoient! Oui une prime à l'urne négative pour le PLQ. Avec les anglo qui resteront chez eux, je crois que c'est très possible.
6. Autres
L'un des phénomènes uniques de cette campagne a été la domination constante de Manon Massé sur Google Trends (qui mesure le nombre de recherches). Sa domination s'est même accentuée avec chaque débat (elle a probablement remporté le 2e d'ailleurs).
Si on regarde plutôt par parti, là on voit que la CAQ est devant. On voit aussi bien quels sont les partis qui incarnaient le changement. Et je crois que cela montre aussi que l'engouement pour QS est réel.
Finalement, et pas relié à Google trends, cette campagne a eu un nombre incroyablement faible de sondages. Si ce n'était de Mainstreet et Léger, on n'en aurait quasiment pas eu. Et même ceux que nous avons eu étaient assez "faibles" avec peu de questions supplémentaires. Comparé à l'Ontario cet été où Abacus par exemple sondait les gens au-delà des intentions de vote, c'est un peu regrettable. Je comprends ceux qui sont tannées des sondages, mais en même temps ils font partie d'une campagne. C'est pas comme si on avait eu une couverture bien meilleure juste car on n'avait pas de sondage. J'aurais aimé avoir des sondages posant davantage de questions sur les enjeux, les propositions, etc.
Conclusions
Les Québécois et Québécoises sont sur le point de voter de manière historique. Le temps nous dira s'il s'agît d'un réalignement politique majeur ou juste passager. Mais mardi matin, le Québec aura un Premier Ministre qui ne sera ni Libéral ni Péquiste pour la première fois depuis 1970. Ils vont aussi donner à un parti de gauche, concentré sur l'île jusquà présent, un score plus que doublé par rapport à 2014. Cela devrait s'accompagner d'au moins 6 sièges, possiblement 10 et terminer devant le PQ.
La vraie incertitude concerne la majorité CAQuiste. Une victoire Libérale représenterait une surprise majeure (bien plus grande que la victoire de Trump par exemple). Une victoire Péquiste est impossible et je fermerai mon blogue si cela arrive (car cela voudrait dire que les sondages sont inutiles).