Débat des chefs ce soir: tous contre Legault

Ce soir à 20h sur Radio-Canada a lieu le premier débat des chefs (il y en aura deux autres, dont un en anglais). Et vous pouvez parier que Couillard, Lisée et Massé voudront tous attaquer le chef CAQuiste François Legault. Pourquoi cela? Car son parti est en tête depuis le début (malgré une légère baisse, surtout observée chez Mainstreet) et ses chances de remporter le plus de sièges n'ont jamais chuté sous les 85%. Elles sont actuellement de plus de 95%!

En me basant sur les sondages récents (incluant le Mainstreet de mercredi), voici les projections:

Intentions de vote; Projections de sièges avec intervalles de confiance; Chances de remporter le plus de sièges

Les projections par circonscriptions sont disponibles à la fin de cet article. Aussi, n'oubliez pas que vous pouvez faire vos propres projections avec le simulateur.

En termes de scénarios, voici les chances:


La CAQ a une avance de 4 points sur les Libéraux. Mais en raison de la concentration du vote Libéral dans les comtés anglophones, c'est plutôt équivalent à une avance de 6-7 points. En d'autres mots: relativement confortable.

La seule incertitude, si l'élection avait lieue demain, serait de savoir si la CAQ obtiendrait une majorité ou minorité. Sur ce point, les simulations accordent actuellement 54.5% de chances à une majorité. C'est ainsi super serré.

Regardons la situation des 4 partis et ce que chaque chef devrait faire ce soir.

1. PLQ et Couillard

Le Premier Ministre sortant voudra vanter son bilan économique et fiscal (qui est objectivement plutôt bon; Si vous voulez voir des finances publiques catastrophiques, regardez du côté de l'Ontario). Le taux de satisfaction oscille en général vers les 30%, ce qui correspond aux intentions de votes. Le PLQ est habitué aux yo-yo électoraux depuis 2003 (une élection à 40%+ suivi d'une élection vers les 30%). Le PLQ résiste actuellement plutôt bien dans la région de Montréal mais serait défait partout à Québec. Pour Couillard, l'adversaire est clairement la CAQ. Parmi les 13 courses serrées (marge de 5 points et moins) dans lesquelles le PLQ est impliqué, 11 le sont contre la CAQ. Et le PLQ est actuellement projeté perdant dans 9 de ces comtés (souvent par une marge très, très mince). Une bonne sortie de vote pourrait faire pencher plusieurs comtés mais faire baisser Legault et la CAQ de quelques points en le battant au débat aiderait grandement. Et si le yo-yo devait continuer, une minorité donnerait des élections probables dans 12-18 mois et le PLQ pourrait rêver de revenir au pouvoir (comme en 2008 et 2014). Je pense par exemple que Couillard resterait en poste en cas de minorité CAQuiste.

Couillard n'a quasiment aucun intérêt à attaquer Lisée. Au contraire, le chef Libéral doit espérer que le chef du PQ fasse du bon boulot et récupère des votes francophones à la Coalition. Ma prédiction est que Couillard va concentrer toutes ses attaques ou presque sur Legault. Je suis intéressé de voir un Couillard en mode attaque plutôt qu'en mode défense comme en 2014.

2. Le PQ est Lisée

Ce parti a réussi à grimper de quelques points durant la campagne, bien que le Mainstreet d'hier l'a fait repassé sous les 20%. Pour le parti souverainiste, l'adversaire sera là aussi la CAQ (et dans une moindre mesure QS). Le PQ se doit de remonter chez les franco (les sondages le placent parfois 3e, derrière les Libéraux!). La région de Québec est déjà perdue (à part Taschereau possiblement) et la bataille avec la CAQ se livrera dans le reste du Québec. Je parle des régions traditionnellement favorables au PQ tel que le Lac-Saint-Jean ou le Bas-Saint-Laurent.

La question est aussi de savoir l'objectif ultime de Lisée. Envisage-t-il encore de récuprer le vote "changement" qui était au PQ il y a de cela 1 an et demi et ainsi remporter l'élection? Ou se concententerait-il de forcer une minorité? La première option est actuellement très difficile et la moitié de la campagne est déjà passée. La deuxième mission est tout à fait possible. Si le PQ pouvait remonter vers les 23-25% (en prenant ces votes à la CAQ), une majorité CAQ deviendrait quasi impossible. Pour Lisée, la tâche sera de montrer que le changement proposé par son parti est plus séduisant que celui de la CAQ.

Les 2e choix montrent clairement que le plus large groupe est entre le PQ et la CAQ (32% des CAQuistes ont le PQ comme 2e choix et 28% dans l'autre sens). À part dans quelques courses à trois, le PQ n'a pas à se soucier du PLQ. L'autre adversaire est Québec Solidaire. Ce dernier est en forte progression (près de 16% selon Mainstreet, mais Léger le voit plus bas) et, pour la première fois, les projections lui accordent un siège hors de l'île (Taschereau qui semble être une course à 4)! QS est quasiment assuré de prendre Hochelaga-Maisonneuve au PQ et pourrait poser des problèmes dans Rosemont, Bourget et Maurice-Richard ou encore à Rimouski.

Cela nous amène à une constation unique à cette élection: l'est de l'île sera probablement plus intéressante que le 450 où la CAQ devrait dominer. L'est de l'île est une chaude lutte entre le PQ, QS et la CAQ (dans Bourget ou Pointe-aux-Trembles).

Lisée devra ainsi jongler ses attaques entre Legault et Manon Massé. D'un point de vue stratégique cependant, attaquer la CAQ semble plus prometteur. QS peut faire mal dans quelques comtés mais la CAQ pourrait potentiellement envoyer le PQ hors du status de parti officiel! De plus, prendre quelques points à la CAQ aiderait aussi dans les comtés où QS est dans la lutte.

Lisée est supposé être un bon débatteur (C'est ainsi qu'il avait commencé son comeback lors de la course au PQ), nous verrons s'il livre la marchandise ce soir.

3. La CAQ et Legault

Legault avait remporté le dernier débat en 2014 et cela lui avait permis de faire une remontée impressionnante. Cela étant dit, la situation était toute autre. Il faisait face à une Pauline Marois dont la campagne (déclenchée volontairement!) n'allait nulle part et Legault n'avait plus rien à perdre. Cette année, Legault devrait être sur la défensive. Il va se faire critiquer de tout côté. La campagne CAQ n'a pas été exemplaire à date et tous les sondages s'accordent à voir ce parti à la baisse. La marge est encore confortable mais Legault devra éviter une défaite demain. Je pense qu'il la jouera "safe" et qu'il fera ce dont il a besoin pour conserver son avance. Il va attaquer le PLQ et le PQ probablement à parts égales. Il devrait ignorer QS qui ne lui pose pas vraiment problème.

4. QS et Massé

Plusieurs indicateurs (avec des degrés variables de fiabilité) semblent indiquer que QS a, jusqu'à présent, fait une bonne campagne. Google Trends (ci-dessous) étant l'un de ces indicateurs. L'autre étant l'évolution dans les sondages.


Pour Massé, une victoire ce soir et elle pourrait commencer à rêver à faire des gains qui étaient impensables il y a 1 mois de cela. Une bonne partie de l'est de l'île pourrait virer orange ainsi que Taschereau ou Rimouski). Atteindre les 20%, aussi fou que cela peut paraître, n'est pas impensable en cas de victoire. Le simple fait que les projections aient ce parti à 6 est assez remarquable. Jusqu'à maintenant QS a gagné des sièges avec de fortes campagnes locales. Ses victoires étaient en général quasiment impossibles à prévoir en se basant sur les chiffres provinciaux. Ce n'est plus le cas cette année.

Stratégiquement QS se doit d'attaquer le PQ mais je suppose que Massé attaquera aussi les deux partis de droite. La pression sur Manon Massé sera sans doute moindre que pour les autres, même elle ne voudra pas compromettre les gains réalisés jusqu'ici. De plus elle devra succéder à Françoise David qui avait bien fait en 2014.

Voilà, la situation avant ce débat ne fait aucun doute: Legault est l'ennemi numéro un. Et lui et son parti sont loins d'avoir une majorité assurée. Les débats des chefs ne changent pas toujours les intentions de vote mais je suis d'avis que les analystes politiques sous-estiment souvent les effets. Sauf exception, ces experts vont commenter, après le débat, que "personne n'a gagné" ou qu'il n'y a pas eu de "knockout" et bien que cela soit souvent vrai, il reste que les débats ont souvent changé la donne. En 2014 pour Legault, en 2015 pour Trudeau (il n'avait pas gagné clairement les débats mais sa performance supérieure aux attentes avait permis à son parti de remonter lentement mais sûrement.  L'année passée en CB Andrew Weaver avait gagné et les Verts avaient ainsi continué de grimper. Plus tôt cet été Andrea Horwath, la chef du NPD Ontarien avait gagné le premier débat et cela avait permi à son parti de passer clairement en 2e place, devant les Libéraux. Le Québec nous a habitué à des campagnes mouvementées et celle-ci a été quelque peu "plate" ou ennuyante à date. Je ne serais pas surpris si le débat changeait cela.